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Page:Les Soirées de Médan.djvu/208

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batteries de tambours qu’accompagne l’aigre chanson des fifres, et jamais au grand jamais dans la ville solennelle et morne, dans les longues avenues, dans les échos endormis du château tout rempli de statues des héros de la gloire française, figées sur leurs socles dans leur immobilité de marbre, jamais au grand jamais il ne semblait que les clairons aimés retentiraient encore, jouant la Casquette au père Bugeaud.

Et pourtant, des cancans apportés dans la chambre de Mme de Pahauën avec le coup de plumeau du garçon d’hôtel, avec les kilos de charbon de terre du charbonnier du coin, avec les rares visites que lui faisaient les femmes entretenues, ses voisines, ne représentaient pas les forces ennemies comme bien considérables. Le bruit courait que leurs fortifications étaient souvent dérisoires, leurs retranchements si inexpugnables, simulés. À peine avaient-ils quelques batteries sérieuses, vraiment garnies de pièces à longues portées et largement approvisionnées de munitions. Le reste se composait de tuyaux de poêle, de tuyaux d’égout, dont l’ouverture braquée sur Paris, au loin, dans les verres des lorgnettes, donnait l’illusion de gueules de pièces de siège. On citait les endroits, en même temps aussi les gens qui s’étaient aperçus de ce stratagème. On les nommait à voix basse, les ennemis étant très soupçonneux. Peut-être les récits exagéraient-ils la faiblesse des défenses improvisées, on en était généralement d’accord ; mais assurément tout n’était pas faux dans ce qu’on racontait.

Ces histoires, souvent répétées, entretenaient les illusions de Mme de Pahauën. Certaines nuits même elle pouvait croire que son rêve de délivrance allait