Page:Les Soirées de Médan.djvu/226

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croulent, les ruines s’accumulent. Qu’importe, Mme de Pahauën est à Paris.

Le général, brusquement, est descendu. Il a repris son cheval au bas de l’Arc de Triomphe, et à franc étrier il a gagné l’hôtel de l’état-major, essoufflant à sa suite les squelettes galopants des rosses que chevauchent, sinistres dans leurs grands manteaux, d’affamés squelettes de dragons. Il attend. Pris d’impatience, il marche de long en large, tâchant d’user son anxiété dans l’effort d’un mouvement continu. Mme de Pahauën est lente à venir. Il ne peut pas se figurer que, du pont de Sèvres au milieu de Paris, la route soit aussi longue. Il s’inquiète, se reproche des négligences. Peut-être ses ordres donnés là-haut, du sommet de l’Arc de Triomphe, n’ont-ils pas été assez précis. Déjà il songe à en expédier d’autres qui les expliqueraient, d’autres encore qui en précipiteraient l’exécution, quand tout à coup la porte s’ouvre, et Mme de Pahauën, congédiant sur le seuil l’officier qui l’amène, paraît. Avec elle, tout le tintamarre de la ville bombardée et bombardant entre comme une escorte de colère.

Le général s’est précipité les bras en avant, tendus par la passion, et il l’appelle tendrement de son prénom :

— Huberte !

Mais Mme de Pahauën est très grave. Debout dans une robe noire, majestueuse et menaçante, elle repousse les lèvres qui s’approchent, les baisers qui s’offrent, et les tendresses, et les étreintes. C’est à son tour de refuser le général. Durement, avec des mots cruels où passe toute l’égoïste rancune de son séjour à Versailles, elle lui demande ce qu’il fait, pourquoi