Page:Les Soirées de Médan.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

commencé, tu en auras une chouette de place dans l’histoire, je m’en moque ! Et elle rit longuement avec une insistance d’ironie.

Alors, soudainement les vieilles ambitions se réveillent dans l’apathique personne du général. Maintenant que le hasard lui a fait reconquérir Mme de Pahauën, pourquoi n’essayerait-il pas de reconquérir à force de volonté la gloire qui s’en va. Qui sait ? peut-être il y a-t-il du vrai dans toutes ces choses qu’elle raconte. Sans doute, oui, on peut encore trouer les lignes ennemies, et il parle d’activités suprêmes, de sortie en masse, d’efforts irrésistibles. Déjà, il se voit vainqueur, dictant aux Prussiens les conditions de la paix, au pinacle de ses rêves et de ses désirs, acclamé, planant au milieu des admirations humaines et, par-dessus tout, couchant avec Mme de Pahauën.

Comme elle s’est radoucie, il lui explique ses projets et son plan définitif. Il emploiera la garde nationale, jusqu’au dernier homme, tous les bataillons donneront. Il s’accuse, peut-être est-ce là une troupe excellente dont il a eu tort de ne pas employer plus tôt le dévouement et la bonne volonté. La sortie sera formidable, et déjà, selon son habitude, il médite une proclamation pour exciter les courages et ranimer les vivacités de Paris assoupi. À part lui, il songe au mot de cet officier, ce mot qui l’a fait sourire, il y a cinq mois :

— Ces bons escargots de rempart, il faudra leur faire une saignée.

Eh bien ! cette saignée, il est décidé à la pratiquer, largement. Qu’importe si la fortune s’acharne à se montrer contraire : on ne pourra lui reprocher d’avoir négligé quelque chose des moyens à sa disposition.