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Page:Les Soirées de Médan.djvu/238

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s’avançait imperceptiblement sur la ville, plus loin que la grille de la caserne, plus loin que la place d’armes énorme, déserte et déjà toute rose. La nappe paraissait s’enlever en longueur d’une rue droite pour se fondre avec la lividité de l’atmosphère. Mille tourbillons floconneux commençaient à s’élargir. L’horizon, étranglé au loin, à l’endroit où une seconde rue coupait la première, jaillissait si rouge et si plein de lumière intense qu’il ressemblait au crachat furieux d’une formidable pièce de canon. Plusieurs cheminées, la crête de certains toits s’étaient allumées de reflets mordorés. Un chien, dans une clôture éloignée, hurlait à la mort ; et devant la grille de la caserne, la baïonnette d’une sentinelle qui se promenait lentement, l’arme au bras, lançait par instants un éclair brusque aussitôt éteint.

— Il y a du sang dans l’air, dit un soldat ; on doit se battre quelque part.

— Non, c’est le bon Dieu qui saigne du nez, répliqua un camarade.

— Bah ! c’est peut-être un incendie, fit remarquer Sauvageot.

— Ça,… un incendie ?

On hua Sauvageot. Le caporal Verdier se mit en colère :

— Chut donc ! sacrés margougnats, vous allez me faire fourrer au bloc.

Au fond d’une seconde cour, derrière la façade principale de la caserne, pour la deuxième fois, l’extinction des feux sonna. La distance voilait le chant du clairon, ne lui donnait qu’un accent lamentable, que la sonorité d’une chose jetée hors du ciel flamboyant, comme une ordure. Les vitres de