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Page:Les Soirées de Médan.djvu/282

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où, ne sachant rien de la vie, elle ne comprenait pas les dessous cruels de ce rire. De même elle avait avalé, sans se l’assimiler, Diderot, les cent volumes des œuvres complètes de Voltaire, des livres de chimie et d’histoire naturelle, le Dictionnaire philosophique. Puis un jour qu’assommée par des livres qui n’étaient pas à sa portée, n’ayant plus rien à lire et assoiffée de nouveau, elle bouleversait de fond en comble la bibliothèque, le hasard lui avait révélé l’existence d’un « secret ». Elle n’avait eu qu’à presser un imperceptible bouton simulant une nodosité naturelle du bois, et un panneau avait basculé, découvrant une cavité cachée. Elle était tombée sur une vingtaine de volumes pornographiques.

Celui qu’elle ouvrait au hasard, un roman du marquis de Sade, ne lui apprenait rien, tant était grande alors son innocence. Elle en feuilletait plusieurs autres, sans y comprendre un mot. Puis, elle ouvrait Gamiani, par le vicomte Alcide de T…, avec gravures. À la vue de ces gravures, elle devenait tout de suite très rouge. Une brûlure subite lui courait le long de l’épine dorsale. Et elle se tournait du côté de la porte, inquiète, indécise.

Une domestique, ses chambres achevées, balayait la galerie précédant la bibliothèque. Sa tante allait passer pour se rendre à la chapelle. On pouvait entrer ! Alors, refermant précipitamment la cachette, Édith s’enfuyait au bout du parc, au fond d’un bosquet touffu où nul autre qu’elle n’était venu depuis dix ans. Là, sûre de n’être pas dérangée, au pied d’un vieux faune en pierre, mutilé, lutinant une nymphe sans bras, elle avait regardé de nouveau les gravures. Puis elle avait ouvert un autre volume : Daphnis et Chloë. Celui-