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Page:Les Soirées de Médan.djvu/284

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matin à pied ou à cheval, toute à son idée fixe, espérant vaguement se contenter au milieu du rut général des êtres. Mais elle rentrait exaspérée, dans un état à faire pitié, montait droit à sa chambre, s’y enfermait à clef, arrachait sa robe ou son amazone, dégrafait son corset et se jetait la face contre son lit, étouffant, ouvrant les bras dans le vide à un être inconnu, puis les tordant de désespoir, retenant des appels rauques. Sur la route nationale, dans une voiture de bohémiens, n’avait-elle pas vu une fille de son âge, aux cheveux crépus, toute dépoitraillée, dormir, en tenant embrassée la taille du beau mâle qui conduisait. À travers une haie, elle avait écouté les petits cris d’une paysanne, renversée par un valet de ferme dans l’herbe fauchée et ne résistant au gars qui lui relevait les jupes, que par des « Finis, Pierre… j’appelle !… je me fâche !… » bien faibles. Devant ses yeux, la fille de la ferme avait aidé le taureau à saillir une vache. Deux mésanges sur une branche s’étaient accouplées. Et elle n’était ni la mésange, ni la vache, ni la paysanne, ni la bohémienne. Jusqu’aux émanations des fleurs printanières qui empoisonnaient l’air d’un irritant parfum d’amour.

Elle était devenue très maigre. Un grand cercle bleu lui avait entouré les yeux ; elle était tombée malade. Un médecin mandé de la ville lui avait ordonné du fer. Sa tante faisait brûler des cierges à la chapelle. La nourrice, qui ne savait ni lire ni écrire, marmottait entre ses dents : « Il faudrait la marier. »

Puis la bête cynique qui l’avait hantée pendant ces années malsaines, s’était anéantie à son tour. Du jour où elle avait épousé Trivulce, revenu de Paris pour la