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Page:Les Soirées de Médan.djvu/292

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de douleur. Et, depuis lors, il ne l’avait plus aperçue entre les volubilis. Elle avait quitté ses parents. Et lui, trouvant le cabinet de l’huissier triste comme un tombeau, avait signifié à son père qu’il ne serait jamais huissier. Sa mère ayant toujours rêvé d’avoir un fils prêtre, il s’était fait prêtre.

Prêtre, il n’avait jamais été débarrassé de l’idée fixe de la femme. D’abord, pendant ses six années de petit séminaire, il s’était longtemps souvenu de cette Maria. En classe, pendant qu’on leur expliquait l’Epitome historiæ sacræ, sa pensée s’envolait vers elle : « Que fait-elle maintenant ?… S’est-elle mariée avec celui qui l’a rendue enceinte ?… Est-elle retournée chez ses parents ?… Est-elle devenue une courtisane ? » Et, dans son gros dictionnaire français-latin, il se mettait à chercher les mots : courtisane, fille de joie, prostituée. À l’étude, ses voisins, cachés par leurs pupitres grands ouverts, se livraient entre eux à des pratiques obscènes. Lui, s’enfonçant le visage dans les mains, fermant les yeux, se bouchant les oreilles, pensait à la fenêtre encadrée de capucines et de volubilis : Maria lui avait protégé sa pureté ! À la chapelle, quand l’orgue-harmonium accompagnait des cantiques, ne s’imaginait-il pas entendre un écho lointain de sa voix très douce. Elle ressemblait vaguement à une vierge aux cheveux jaunes, peinte sur les vitraux au-dessus de l’autel. Un jour, il lui faisait des vers, cette fameuse pièce d’alexandrins, surprise par son professeur d’histoire ecclésiastique, qui l’avait lue devant toute la classe, en le comblant d’éloges malgré la pauvreté des rimes. Puis, en avançant en âge, une gaze impalpable avait insensiblement recouvert le souvenir de Maria. Ses cheveux, ses traits, sa voix, son nom