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Page:Les Soirées de Médan.djvu/35

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LES SOIRÉES DE MÉDAN

solide amitié pour Dominique, son futur gendre ; mais sa roue tenait aussi une large place dans son cœur. Puisque les deux petits, comme il les appelait, étaient sortis sains et saufs de la bagarre, il songeait à son autre tendresse, qui avait singulièrement souffert, celle-là. Et, penché sur la grande carcasse de bois, il en étudiait les blessures d’un air navré. Cinq palettes étaient en miettes, la charpente centrale était criblée. Il fourrait les doigts dans les trous des balles, pour en mesurer la profondeur ; il réfléchissait à la façon dont il pourrait réparer toutes ces avaries. Françoise le trouva qui bouchait déjà des fentes avec des débris et de la mousse.

— Père, dit-elle, ils vous demandent.

Et elle pleura enfin, en lui contant ce qu’elle venait d’entendre. Le père Merlier hocha la tête. On ne fusillait pas les gens comme ça. Il fallait voir. Et il rentra dans le moulin, de son air silencieux et paisible. Quand l’officier lui eut demandé des vivres pour ses hommes, il répondit que les gens de Rocreuse n’étaient pas habitués à être brutalisés, et qu’on n’obtiendrait rien d’eux si l’on employait la violence. Il se chargeait de tout, mais à la condition qu’on le laissât agir seul. L’officier parut se fâcher d’abord de ce ton tranquille ; puis, il céda, devant les paroles brèves et nettes du vieillard. Même il le rappela, pour lui demander :

— Ces bois-là, en face, comment les nommez-vous ?

— Les bois de Sauval.

— Et quelle est leur étendue ?

Le meunier le regarda fixement.

— Je ne sais pas, répondit-il.

Et il s’éloigna. Une heure plus tard, la contribution de guerre en vivres et en argent, réclamée par