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Page:Les Soirées de Médan.djvu/37

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LES SOIRÉES DE MÉDAN

manger et boire jusqu’à onze heures, car le tapage ne cessa pas un instant. Dans le moulin même, des pas lourds résonnaient de temps à autre, sans doute des sentinelles qu’on relevait. Mais, ce qui l’intéressait surtout, c’étaient les bruits qu’elle pouvait saisir dans la pièce qui se trouvait sous sa chambre. Plusieurs fois elle se coucha par terre, elle appliqua son oreille contre le plancher. Cette pièce était justement celle où l’on avait enfermé Dominique. Il devait marcher du mur à la fenêtre, car elle entendit longtemps la cadence régulière de sa promenade ; puis, il se fit un grand silence, il s’était sans doute assis. D’ailleurs, les rumeurs cessaient, tout s’endormait. Quand la maison lui parut s’assoupir, elle ouvrit sa fenêtre le plus doucement possible, elle s’accouda.

Au-dehors, la nuit avait une sérénité tiède. Le mince croissant de la lune, qui se couchait derrière les bois de Sauval, éclairait la campagne d’une lueur de veilleuse. L’ombre allongée des grands arbres barrait de noir les prairies, tandis que l’herbe, aux endroits découverts, prenait une douceur de velours verdâtre. Mais Françoise ne s’arrêtait guère au charme mystérieux de la nuit. Elle étudiait la campagne, cherchant les sentinelles que les Allemands avaient dû poster de ce côté. Elle voyait parfaitement leurs ombres s’échelonner le long de la Morelle. Une seule se trouvait devant le moulin, de l’autre côté de la rivière, près d’un saule dont les branches trempaient dans l’eau. Françoise la distinguait parfaitement. C’était un grand garçon qui se tenait immobile, la face tournée vers le ciel, de l’air rêveur d’un berger.

Alors, quand elle eut ainsi inspecté les lieux