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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/335

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— N’êtes-vous pas, ou n’allez-vous pas à Montigny ? Madame de Boufflers ne vous y a-t-elle pas donné rendez-vous ? Elle est partie aujourd’hui avec l’abbé Morellet, et elle revient jeudi. L’archevêque de Toulouse y doit arriver ce soir. Quelqu’un qui connaît beaucoup madame de B…, me disait hier : elle se fait victime de la considération, et à force de courir après, elle en perd. Je parie, me disait cet homme, qu’elle fera l’impossible pour se trouver, non pas au dîner des rois, comme Candide à Venise, mais au dîner des ministres à Montigny. Il me disait cela comme une conjecture, et ce matin j’ai reçu de lui ces deux lignes : Me croirez-vous sur les gens que je connais ? vous vous moquiez de moi hier ; eh bien ! elle est partie ce matin, et elle va tomber au milieu de gens qui sont à peine ses connaissances. Vanité des vanités ! Mon ami, si c’est pour vous y aller trouver, elle a bien fait : elle doit chérir l’homme à qui elle a pu se résoudre à parler une fois avec vérité. Ce doit être pour elle un grand soulagement que de quitter le masque. Comment vit-on dans cette contrainte perpétuelle ? La vanité est donc ce qui a le plus de force dans la nature ! Mon ami, dites-moi donc qui vous croyez qui sera ministre de la guerre. Ce sera, à ce que l’on dit, le baron de Breteuil, qui a passé sa vie dans les affaires étrangères. C’est absolument comme dans l’Avare.

Aviez-vous déjà beaucoup lu pour commencer votre grand ouvrage ? Vous n’avez eu que huit jours ; mais vous faites tout si vite, que huit jours ont peut-être suffi pour faire ce qu’un autre ne ferait pas en huit mois. Avez-vous vu M. Turgot ? C’est dans ce moment-ci où le travail que vous avez fait pour lui peut lui être d’une grande utilité. Vous le verrez à Montigny ; je voudrais que vous causassiez avec lui, et vous