Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/337

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jouit de même ; mais, à la vérité, je ne crois pas qu’il y ait aucune créature qui soit tentée de se mettre en tiers, et qui soit assez abandonnée pour réclamer le surplus de cette grande passion. Adieu, mon ami : je ne sais pourquoi j’ai été vous entretenir de tout cela. Si j’ai de la fièvre, je n’en ai pas assez pour que ce soit du délire ; mais j’ai du plaisir à causer avec vous, et je dis tout ce qui me vient. Écrivez-moi donc, j’ai besoin d’être consolée et soutenue ; mon âme et mon corps sont dans un déplorable état. Mon ami, vous êtes à quatorze lieues : c’est bien loin, et cela serait bien près, si… Mais adieu.



LETTRE CXXXV

Mardi, quatre heures, 17 octobre 1775.

J’attendais le facteur : je voulais une lettre de vous, mais vous ne l’avez pas voulu. J’ai vu le timbre de Fontainebleau sur une lettre, j’en ai respiré plus à mon aise, et puis j’ai vu ma méprise. Oh ! non, cette lettre n’était pas de vous. Mon Dieu ! que je suis folle et injuste, et surtout que je suis malheureuse ! Mon ami, si je pouvais ne pas vous aimer, si je pouvais aimer ce que je n’aime point, peut-être que ce qui me reste à vivre ne serait pas dévoué à un supplice qui met mon corps et mon âme à la torture. Cependant je suis moins souffrante aujourd’hui : j’ai pris de l’ipécacuanha en grande dose, qui m’a d’abord fatiguée à mourir ; mais il me semble qu’il a rendu de l’air à mes poumons : hier je ne respirais pas. Mon ami, je ne sais pourquoi je vous parle de ma santé ;