Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/452

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ler, soulager ces malheureux à force de soins, de secours, d’argent, et eux ne peuvent rien pour moi ; ils ne savent pas même la langue des maux que je souffre ; et tout ce qu’il y a de bonheur et de genres de bonheur sur la terre, quand ils me seraient offerts, ne pourraient pas davantage pour moi ! »

Ô Éliza, Éliza ! que cette esquisse de toi est faible et imparfaite encore ! Était-il quelque sentiment exquis, quelque rare vertu qui honorent l’humanité, qui ne fussent pas dans ton cœur ! Si je fais jamais quelque chose de bon, d’honnête, si j’atteins à quelque chose de grand, ce sera parce que ton souvenir perfectionnera et enflammera encore mon âme. Ô vous tous qui fûtes ses amis, et que je crois par là avoir le droit d’appeler les miens, adressons tous à ses mânes la même invocation. Au nom d’Éliza, soyons amis, soyons chers les uns aux autres, faisons, en présence de sa mémoire, le bien que nous eussions voulu faire devant elle ; que du haut du ciel où son âme est sans doute remontée, elle le voie et y applaudisse ; que les hommes disent alors en nous distinguant : Il fut l’ami d’Éliza ; et que cet éloge soit gravé sur nos tombeaux.

Mais je parle de tombeau, et c’est au sien qu’il faut penser ! Ah ! laissons sa dépouille mortelle se consommer dans le caveau d’un temple ; ce n’est pas là qu’il lui faut un monument ; ce n’est pas là que son ombre se plairait à errer. Bords de la Savonière, campagnes de Vaucluse, lieux où les âmes de la belle Laure et de la sensible La Suze respirent encore, si vous n’étiez pas si loin de nous ! Ah ! choisissons du moins quelque bocage solitaire, au milieu duquel un ruisseau coulant doucement à travers les cailloux, murmure sans cesse des accents plaintifs. Venez, nous y élèverons un monument simple comme elle, une colonne de marbre dont le fût sera brisé à hauteur d’appui, et sur laquelle des cyprès croiseront leurs tristes rameaux ; mais non, c’est le tombeau du méchant qu’il faut ainsi placer loin de la vue des hommes. Cherchons plutôt, dans le voi-