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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 10.djvu/161

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LA PHRASE INOUBLIABLE


Un soir, j’avais ouvert Les Martyrs au hasard, et cette page était sous mes yeux :

L’aquillon mugissoit au loin et arrachoit du tronc des arbres des touffes de lierre et de mousse. Velléda parut tout à coup.
« Tu me fuis, me dit-elle… mais c’est en vain : l’orage t’apporte Velléda, comme cette mousse flétrie qui tombe à tes pieds. »

L’admirable langage ! Ce mugissement de la rafale qui aboutit à un mot déchirant : « arrachoit » ; puis ces douces syllabes qui tombent : « touffes de lierre et de mousse » ; et l’apparition fulgurante de Velléda ; et enfin cette image immense de la dernière ligne, qui part des profondeurs du ciel avec l’orage, traverse tout l’horizon, fait surgir Velléda, la symbolise en mousse, la flétrit et la jette aux pieds du héros… Une telle puissance de style, un si juste choix des forces verbales est peut-être sans autre exemple dans notre littérature.

Pour mieux comprendre la vision et la placer dans son cadre, je me mis à lire la page précédente et je m’arrêtai bientôt devant une autre phrase, d’un caractère tout différent, une phrase sans art