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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/134

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grand public étaient aussitôt allées vers lui. Célèbre du jour au lendemain, il ne fut même pas discuté, le bonheur souriant semblait l’avoir pris par la main pour le conduire aussi haut qu’il lui plairait de monter. Je ne connais certainement pas un autre exemple de débuts si heureux, de succès plus rapides et plus unanimes. On acceptait tout de lui ; ce qui aurait choqué sous la plume d’un autre, passait dans un sourire. Il satisfaisait toutes les intelligences, il touchait toutes les sensibilités, et nous avions ce spectacle extraordinaire d’un talent robuste et franc, sans concession aucune, qui s’imposait d’un coup à l’admiration, à l’affection même de ce public lettré, de ce public moyen qui, d’ordinaire, fait payer si chèrement aux artistes originaux le droit de grandir à part.

« Tout le génie propre de Maupassant est dans l’explication de ce phénomène. S’il a été, dès la première heure, compris et aimé, c’était qu’il apportait l’âme française, les dons et les qualités qui ont fait le meilleur de la race. On le comprenait, parce qu’il était la clarté, la simplicité, la mesure et la force. On l’aimait, parce qu’il avait la bonté rieuse, la satire profonde qui, par un miracle, n’est point méchante, la gaieté brave qui persiste quand même sous les larmes. Il était de la grande lignée que l’on peut suivre depuis les balbutiements de notre langue jusqu’à nos jours. Il avait pour aïeux Rabelais, Montaigne, Molière, La Fontaine, les forts et les clairs, ceux qui sont la raison et la lumière de notre littérature. Les lecteurs, les admirateurs ne s’y trompaient pas ; ils allaient d’instinct à cette source limpide et jaillissante, à cette belle humeur de la pensée