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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/136

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décuplée et toute saignante. Je ne veux pas dire que sa gloire avait besoin de cette fin tragique, d’un retentissement profond dans les intelligences ; mais son souvenir, depuis qu’il a souffert cette passion affreuse de la douleur de la mort, a pris en nous je ne sais quelle majesté souverainement triste qui le hausse à la légende des martyrs de la pensée. En dehors de sa gloire d’écrivain, il restera comme un des hommes qui ont été les plus heureux et les plus malheureux de la terre, celui où nous sentons le mieux notre humanité espérer et se briser, le frère adoré, gâté, puis disparu, au milieu des larmes.

« Et, d’ailleurs, qui peut dire si la douleur et la mort ne savent pas ce qu’elles font ? Certes Maupassant, qui, en quinze années, avait publié près de vingt volumes, pouvait vivre et tripler ce nombre et remplir à lui seul tout un rayon de bibliothèque. Mais, le dirai-je ? Je suis parfois pris d’une inquiétude mélancolique devant les grosses productions de notre époque. Oui, ce sont de longues et consciencieuses besognes, beaucoup de livres accumulés, un bel exemple d’obstination au travail. Seulement, ce sont là aussi des bagages bien lourds pour la gloire, et la mémoire des hommes n’aime pas à se charger d’un pareil poids. De ces grandes œuvres cycliques il n’est jamais resté que quelques pages. Qui sait si l’immortalité n’est pas plutôt une nouvelle en trois cents lignes, la fable ou le conte que les écoliers des siècles futurs se transmettront, comme l’exemple inattaquable de la perfection classique ?

« Et, Messieurs, ce serait là la gloire de Maupassant, que ce serait encore la plus certaine et la plus