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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/278

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nelle misère de tout dont avait parlé Flaubert, Dans son appétit du néant, Maupassant a été jusqu’à nier son propre effort. Je retrouve ces lignes dans une lettre ignorée : « Moi, je suis incapable d’aimer vraiment mon art. Je le juge trop, je l’analyse trop. Je sens trop combien est relative la valeur des idées, des mots et de l’intelligence la plus puissante. Je ne puis m’empêcher de mépriser la pensée, tant elle est faible, et la forme, tant elle est incomplète. J’ai vraiment d’une façon aiguë, inguérissable, la notion de l’impuissance humaine et le mépris de l’effort qui n’aboutit qu’à de pauvres « à peu près ».

« Tel a été dans ses livres, dans ses lettres, dans ses propos, Guy de Maupassant. Comment une vision aussi noire, une thèse aussi pénible, - disons le mot, - n’a-t-elle pu toucher la sensibilité moyenne du public ? C’est qu’à travers l’appareil logique, à travers le concept imposé par la raison, l’émotivité personnelle de l’écrivain, étrangère, souvent même contradictoire à ses idées, se fait jour, se révèle malgré lui. Et dans des mots, dans des nuances, le lecteur clairvoyant avait senti, avait deviné que Maupassant était le premier à souffrir de ce malheur de la vie, qu’il semblait se complaire à dépeindre.

« Voici une confession inédite que je trouve dans des notes intimes :

« Si jamais je pouvais parler devant quelqu’un et non devant une barrière, je laisserais sortir peut-être tout ce que je sens au fond de moi de pensées inexplorées, refoulées, désolées. Je les sens qui me gonflent et m’empoisonnent comme la bile