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CRITIQUE LITTÉRAIRE

de vie que les hommes, car c’est le raisonnement qui après assigne à tout phénomène visuel des causes extérieures, mais dans l’impression première que nous recevons cette cause n’est pas impliquée. Je reprends dans la deuxième page de l’Éducation sentimentale la phrase dont je parlais tout à l’heure : « La colline qui suivait à droite le cours de la Seine s’abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée ». Jacques Blanche a dit que dans l’histoire de la peinture, une invention, une nouveauté, se décèlent souvent en un simple rapport de ton, en deux couleurs juxtaposées. Le subjectivisme de Flaubert s’exprime par un emploi nouveau des temps des verbes, des prépositions, des adverbes, les deux derniers n’ayant presque jamais dans sa phrase qu’une valeur rythmique. Un état qui se prolonge est indiqué par l’imparfait. Toute cette deuxième page de l’Éducation (page prise absolument au hasard) est faite d’imparfaits, sauf quand intervient un changement, une action, une action dont les protagonistes sont généralement des choses (« la colline s’abaissa », etc.). Aussitôt l’imparfait reprend : « Plus d’un enviait d’en être le propriétaire », etc. Mais souvent le passage de l’imparfait au parfait est indiqué par un participe présent, qui indique la manière dont l’action se produit, ou bien le moment où elle se produit. Toujours deuxième page de l’Éducation : « Il contemplait des clochers, etc., et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un gros soupir ». (L’exemple est du reste très mal choisi et on en trouverait dans Flaubert de bien plus significatifs). Notons en passant que cette activité des choses, des bêtes, puisqu’elles sont le sujet des phrases (au lieu que ce sujet soit des hommes), oblige à une grande