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CRITIQUE LITTÉRAIRE

tant de peine à atteindre, elles songent qu’on a pu être le plus grand et le plus artiste des écrivains, en ne peignant que des lits à « rideaux » refermables (Pièces condamnées), des halls pareils à des serres (Une Martyre), des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux, des étagères avec des fleurs, des lampes qui ne brûlaient pas très longtemps (Pièces condamnées), si bien qu’on n’était plus éclairé que par un feu de charbon. Monde baudelairien que vient par moment mouiller et enchanter un souffle parfumé du large, soit par réminiscences (La Chevelure, etc.), soit directement, grâce à ces portiques dont il est souvent question chez Baudelaire « ouverts sur des cieux inconnus » (La Mort) ou « que les soleils marins teignaient de mille feux » (La Vie antérieure). Nous disions que l’amour baudelairien diffère profondément de l’amour d’après Hugo. Il a ses particularités, et, dans ce qu’il a d’avoué, cet amour semble chérir chez la femme avant tout les cheveux, les pieds et les genoux :

Ô toison moutonnant jusque sur l’encolure.
Cheveux bleus, pavillons de ténèbres tendus.
Cheveux bleus, pavillons de ténèbres (La Chevelure.)
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
Et tes pieds s’endormaient dans mes mai(Le Balcon.)
Et depuis tes pieds frais jusqu’à tes noires tresses
(J’aurais) déroulé le trésor des profondes caresses.

Évidemment entre les pieds et les cheveux, il y a tout le corps. On peut pourtant penser que Baudelaire se serait longtemps arrêté aux genoux quand on voit avec quelle insistance il dit dans les Fleurs du Mal :