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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/74

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CHRONIQUES

rien, s’il n’y aurait pas encore un peu besoin de ses soins de grand’mère, ce qu’au fond elle espérait bien. Il faut que la mort soit vraiment bien forte pour avoir pu les séparer !

Moi qui avais vu ses larmes de grand’mère — ses larmes de petite fille — chaque fois que Robert de Flers faisait seulement un voyage, ce n’était pas sans inquiétudes pour elle que je pensais qu’un jour Robert se marierait. Elle disait souvent qu’elle avait envie de le marier, mais je crois qu’elle le disait surtout pour s’aguerrir. Au fond, elle avait encore plus peur de cette échéance fatale de son mariage qu’elle n’avait redouté son entrée au collège et son départ pour le régiment. Et Dieu sait seul — car on est courageux quand on est tendre — ce qu’elle avait souffert à ces deux moments-là ! Le dirais-je ? Sa tendresse pour son petit-fils ne me semblait pas devoir, quand Robert serait marié, être une source de tristesse que pour elle : je pensais à celle qui deviendrait sa petite-fille… Une tendresse aussi jalouse n’est pas douce toujours à ceux avec qui elle doit partager… La femme qu’épousa Robert de Flers accomplit avec une simplicité divine le miracle de faire de ce mariage si redouté une ère de bonheur sans mélange pour Mme de Rozière, pour elle-même et pour Robert de Flers. Tous trois ne se quittèrent ni ne se querellèrent un seul jour. Mme de Rozière disait bien que par discrétion elle ne continuerait pas à habiter avec eux et irait vivre de son côté, mais je ne crois pas que ni elle, ni Robert, ni personne ait jamais pu sérieusement envisager cela comme possible. Ce n’est que dans un cercueil qu’on a pu l’emmener.

Une autre chose m’avait paru ne pas devoir aller