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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/78

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CHRONIQUES

n’est pas encore en terre, et déjà elle recommence à s’adresser assez vivement à moi pour que je ne puisse m’empêcher de parler d’elle. Si on trouve que je l’ai fait par moments avec un sourire, qu’on n’aille pas croire que je n’avais pas pour cela moins envie de pleurer. Personne ne m’aura mieux compris que Robert. Il aurait fait comme moi. Il sait que les êtres qu’on a le plus aimés, on ne pense jamais à eux, au moment où on pleure le plus, sans leur adresser passionnément le plus tendre sourire dont on soit capable. Est-ce pour essayer de les tromper, de les rassurer, de leur dire qu’ils peuvent être tranquilles, que nous aurons du courage, pour leur faire croire que nous ne sommes pas malheureux ? Est-ce, plutôt, que ce sourire-là n’est que la forme même de l’interminable baiser que nous leur donnons dans l’Invisible ?

Marcel Proust.
Le Figaro, 23 juillet 1907.