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CHRONIQUES

vulgaire redirait peut-être la chanson de Montmartre :

Bragance, on le connaît c’t’oiseau-là ;
Faut-il que son orgueil soye profonde
Pour s’être f…u un nom comme ça !
Peut donc pas s’appeler comme tout le monde !

Mais le poète, s’il est sincère, ne partage pas cette gaieté, et, les yeux fixés sur le passé que ces noms lui découvrent, répondra avec Verlaine :

Je vois, j’entends beaucoup de choses
Dans son nom Carlovingien.

Passé très vaste peut-être. J’aimerais à penser que ces noms qui ne sont venus jusqu’à nous qu’en de si rares exemplaires, grâce à l’attachement aux traditions qu’ont certaines familles, furent autrefois des noms très répandus, — noms de vilains aussi bien que de nobles, — et qu’ainsi, à travers les tableaux naïvement coloriés de lanterne magique que nous présentent ces noms, ce n’est pas seulement le puissant seigneur à la barbe bleue ou sœur Anne en sa tour que nous apercevons, mais aussi le paysan penché sur l’herbe qui verdoie et les hommes d’armes chevauchant sur les routes qui poudroient du xiiie siècle.

Sans doute bien souvent cette impression moyen-âgeuse donnée par leurs noms ne résiste pas à la fréquentation de ceux qui les portent et qui n’en ont ni gardé ni compris la poésie ; mais peut-on raisonnablement demander aux hommes de se montrer dignes de leur nom quand les choses les plus belles ont tant de peine à ne pas être inégales au leur, quand