Aller au contenu

Page:Mariéton - Une histoire d’amour, 1897, 6e éd.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
UNE HISTOIRE D’AMOUR.

J’aurais écrit, pleuré. On m’aurait cru en Allemagne. Il y aurait eu là quelques beaux moments. Tu n’aurais cru trahir personne, j’espère. Tu m’as vu mourant d’amour dans tes bras, la dernière fois ; as-tu rien eu à te reprocher ? Mais tous les rêves que je peux faire sont des chimères ; il n’y a de vrai que les phrases, les devoirs et les choses. Tout est bien, tout est mieux ainsi.

O ma fiancée, je te demande encore pourtant quelque chose. Sors un beau soir au soleil couchant, seule. Va dans la campagne, assieds-toi sur l’herbe, sous quelque saule vert. Regarde l’Occident et pense à ton enfant qui va mourir. Tâche d’oublier le reste : relis mes lettres, si tu les as, ou mon petit livre. Pense, laisse aller ton bon cœur, donne-moi une larme, et puis rentre chez toi doucement, allume ta lampe, prends ta plume, donne une heure à ton pauvre ami. Donne-moi tout ce qu’il y a pour moi dans ton cœur ; efforce-toi plutôt un peu.

Ce n’est pas un crime, mon enfant. Tu peux m’en dire même plus que tu n’en sentiras ; je n’en saurai rien. Ce ne peut pas être un crime. Je suis perdu. Mais qu’il n’y ait rien autre dans ta lettre que ton amitié pour moi, que ton amour, George ; ne l’appelles-tu pas de l’amour ? Écris à BADEN (GRAND-DUCHÉ), POSTE RESTANTE. Affranchis jusqu’à la frontière, et mets : PRÈS STRASBOURG. C’est à douze lieues de Strasbourg. Je n’irai ni plus près ni plus loin ; mais que j’aie une lettre où il n’y ait rien que ton amour ; et dis-moi que tu me donnes tes lèvres, tes dents, tes cheveux, tout cela, cette tête que j’ai eue, et que tu m’embrasses, toi, moi ! Ô Dieu, ô Dieu ! quand j’y pense, ma gorge se serre, mes yeux se troublent, mes genoux chancellent. Ah ! il est horrible de mourir, il est horrible d’aimer ainsi. Quelle soif, mon George, ô quelle soif j’ai de toi ! Je t’en prie, que j’aie cette lettre. Je me meurs. Adieu.