Page:Marie - Gérard de Nerval, 1914.djvu/398

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Mais cette joie de l’inspiration, née de la rêverie vagabonde, il ne la connaîtra plus. L’ombre s’étend peu à peu sur son esprit, et vainement cherche-t-il à ressaisir la pensée qui lui échappe. Pour plus de malheur, l’hiver de 1854 s’annonce avec une exceptionnelle âpreté, cependant que Gérard touche à l’épuisement de ses ressources. Car c’est bien cette fois l’inévitable détresse qu’il sent venir, et, impuissant désormais à fournir une copie régulière, il n’a plus guère que le pauvre louis, que parfois, lorsqu’il rentre au bercail, sa maternelle tante parvient à lui faire accepter. N’est-ce pas l’écho de cette misère glacée que nous sentons gémir dans cette lamentation rimée et ce dernier sonnet que certains ont daté d’un problématique voyage en Angleterre, accompli avec Théophile et Charles Landelle, mais où mieux se perçoit l’accent désespéré des heures suprêmes :


« Madame et souveraine,
Que mon cœur a de peine... »
Ainsi disait un enfant chérubin :
« Madame et souveraine,
Que mon cœur a de peine... »

Cette nuit, je ne sais trop pourquoi, ce refrain
A trotté dans ma tête et m'a laissé tout triste...
J'ai des torts envers vous... mais de ces torts d'artiste
Que l'on peut pardonner de la main à la main.
Je suis un fainéant, bohème journaliste,
Qui dîne d'un bon mot étalé sur son pain.
Vieux avant l'âge et plein de rancunes amères,
Méfiant comme un rat, trompé par trop de gens,
Ne croyant nullement aux amitiés sincères,
J'ai mis exprès à bout les nobles sentiments
Qui vous poussaient, madame, à calmer les tourments
D'une âme abandonnée au pays des misères.
Daignez me pardonner cet essai maladroit...
Vos lettres m'ont prouvé que dans cette bagarre,
Vous possédiez l'esprit qui marche ferme et droit,
Vous voulez votre dû, mot grotesque et barbare,
Que l'on n'accepterait jamais au Tintamare...
Mais il paraît qu'il faut payer ce que l'on doit.
Vous aurez donc, madame, et manuscrits et lettres,
Doucement ficelés dans un calicot vert,
Car ma plume est gelée aux jours noirs de l'hiver.