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les forçats du mariage

pourras pas. Tu es un artiste, un homme de nerfs, de sensations, et non un idéologue qui raisonne le pour et le contre. Le devoir est pour toi lettre close. Tu n’as pas eu l’habitude de t’en servir. Ta nature d’ailleurs ne t’y porte pas. On a beau bâtir des systèmes de morale, les passions n’en vont pas moins leur bonhomme de chemin. L’erreur est de croire que l’homme est libre. Absurdum ! L’homme ne peut avoir d’autre but que le bonheur, d’autre mobile que l’égoïsme. Que parle-t-on de devoir, de dévouement ? Il n’y a pas plus de dévouement qu’il ne peut y avoir de morale : il n’y a que des organisations. Nous ne pouvons agir en dehors de nos facultés, de nos attractions. Un homme qui se dévoue à ses enfants, à son ami, à sa maîtresse, n’est qu’un égoïste qui sacrifie à ses passions de paternité, d’amour, d’amitié. Le dévouement à des principes, à des idées généreuses, n’est lui-même que l’égoïsme des natures supérieures ; car elles trouvent plus de vrai bonheur dans l’accomplissement de ces grands devoirs que dans la satisfaction de leurs passions inférieures. Ainsi, j’aurais beau te donner des conseils, tu suivras ta passion dominante ; et comme ce n’est pas le sentiment du devoir qui domine en toi, quoi que je dise, tu seras l’amant de Juliette. Mais je m’aperçois que je parle dans le désert ; tu ne m’écoutes seulement pas. Voyons, tu me fais réellement de la peine ; à quoi penses-tu ?

— Que je ne suis qu’à deux pas de Juliette, et