Aller au contenu

Page:Marie Louise Gagneur Les Forcats du mariage 1869.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
les forçats du mariage

— Cependant, c’est au milieu de ta famille que tu as créé cette dernière œuvre que tout le monde regarde comme la plus puissante de tes créations.

— Mais c’était une famille irrégulière. Si je me mariais pour tout de bon, je n’échapperais certes pas à la loi commune : tout enthousiasme se noie dans le pot-au-feu conjugal. En somme, je ne suis pas fâché de ce qui m’arrive : le succès amollit la fibre, vois-tu ; un peu de souffrance va me retremper. Je vais faire un tableau admirable, et je serai consolé. J’aimerai une belle femme, la première venue, pour oublier Annette ; et pour remplacer Pierrot, eh bien ! j’élèverai un singe. Je t’assure que, toute réflexion faite, entre un enfant et un singe, il y a peu de différence. Il ne parlera pas, c’est vrai ; mais je pourrais élever aussi un perroquet. Que sont les enfants, sinon des singes et des perroquets ?

— Fanfaron de scepticisme, va ! dit Robert en riant.

En cet instant, les deux amis aperçurent, venant à leur rencontre, la société au grand complet.

M. Rabourdet donnait le bras à Juliette. Dépouillant sa solennité habituelle, il se montrait fringant, frétillant, l’œil émerillonné, jeune enfin, malgré les cinquante-cinq hivers qui avaient jeté pas mal de neige sur son front à demi dénudé, semblable aux arbres de novembre.