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Page:Marie Louise Gagneur Les Forcats du mariage 1869.djvu/26

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les forçats du mariage

Après cela, je prête peut-être à ma fiancée des pensées et des sentiments qui ne sont point en elle. Je l’ai vue au plus une dizaine de fois, et toujours devant maman Rabourdet, cela va sans dire. Que sait-elle de mon passé ? Rien. J’ignore tout d’elle également. Dans les pays où le divorce est établi, il est permis de se voir, de s’étudier avant le mariage ; mais chez nous, où on se lie pour la vie, on ne doit que s’entrevoir. Au reste, c’est peut-être logique : si l’on se connaissait davantage, voudrait-on se lier pour toujours ? Si Marcelle, en effet, connaissait cet être capricieux, personnel, corrompu, qui s’appelle le comte de Luz, son cœur virginal ne frémirait-il pas à l’idée de s’unir à ce cœur fatigué, mais non rassasié, toujours avide d’émotions, d’excitations factices ?

Mon mariage est-il une exception ? Point. Tous les mariages aujourd’hui se concluent dans des conditions analogues. Faut-il s’étonner que notre société tombe en pourriture, quand le mensonge, l’hypocrisie, la corruption sont à la base même, dans la constitution du foyer ? Le mariage indissoluble est, selon moi, la plus immorale de nos institutions. J’ai l’air de faire du paradoxe. Mais, si tu réfléchis, tu reconnaîtras que nos coutumes seules sont paradoxales, nos mœurs, absurdes, nos préjugés, idiots.

Ces colères, diras-tu, me seyent assez mal. C’est vrai ; mais je suis irrité contre moi-même, irrité