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la dot

La voiture s’était arrêtée. Elle en sortit, et regarda, malgré elle, d’un mouvement instinctif de l’œil, sur le toit de l’omnibus. Il était totalement désert.

Alors elle se mit à pleurer et tout haut, sans songer qu’on l’écoutait et qu’on la regardait, elle prononça :

— Qu’est-ce que je vais devenir ?

L’inspecteur du bureau s’approcha :

— Qu’y a-t-il ?

Le conducteur répondit d’un ton goguenard :

— C’est une dame que son époux a lâchée en route.

L’autre reprit :

— Bon, ce n’est rien, occupez-vous de votre service.

Et il tourna les talons.

Alors, elle se mit à marcher devant elle, trop effarée, trop affolée pour comprendre même ce qui lui arrivait. Où allait-elle aller ? Qu’allait-elle faire ? Que lui était-il arrivé à lui ? D’où venaient une pareille erreur, un pareil oubli, une pareille méprise, une si incroyable distraction ?

Elle avait deux francs dans sa poche. À qui s’adresser ? Et, tout d’un coup, le souvenir lui vint de son cousin Barral, sous-chef de bureau à la marine.

Elle possédait juste de quoi payer la course en fiacre ; elle se fit conduire chez lui. Et elle le rencontra comme il partait pour son ministère. Il portait, ainsi que Lebrument, un gros portefeuille sous le bras.

Elle s’élança de sa voiture