Aller au contenu

Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
le lit 29

détresse sur le tapis, la chambre bouleversée comme après une bataille, Irma, folle, les cheveux dénoués, jetait ses bras désespérés autour du cou de l’officier, l’étreignant, puis, le lâchant, se roulait sur le sol, renversait les meubles, arrachait les franges des fauteuils, mordait leurs pieds, tandis que le capitaine, fort ému, mais inhabile aux consolations, répétait :

— Irma, ma petite Irma, pas à dire, il le faut.

Et il essuyait parfois, du bout du doigt, une larme éclose au coin de l’œil.

Ils se séparèrent au jour levant. Elle suivit en voiture son amant jusqu’à la première étape. Et elle l’embrassa presque en face du régiment à l’instant de la séparation. On trouva même ça très gentil, très digne, très bien, et les camarades serrèrent la main du capitaine en lui disant :

— Cré veinard, elle avait du cœur tout de même, cette petite.

On voyait vraiment là-dedans quelque chose de patriotique.

Le régiment fut fort éprouvé pendant la campagne. Le capitaine se conduisit héroïquement et reçut enfin la croix ; puis, la guerre terminée, il revint à Rouen en garnison.

Aussitôt de retour, il demanda des nouvelles d’Irma, mais personne ne put lui en donner de précises.

D’après les uns, elle avait fait la noce avec l’état-major prussien.