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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/141

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le protecteur

mains, s’informait de la santé, puis, sans attendre les questions, déclarait :

— Vous savez, moi, je suis conseiller d’État et tout à votre service. Si je puis vous être utile à quelque chose, usez de moi sans vous gêner. Dans ma position, on a le bras long.

Et alors il entrait dans les cafés avec l’ami rencontré pour demander une plume, de l’encre et une feuille de papier à lettre — « une seule, garçon, c’est pour écrire une lettre de recommandation. »

Et il en écrivait des lettres de recommandation, dix, vingt, cinquante par jour. Il en écrivait au café Américain, chez Bignon, chez Tortoni, à la Maison-Dorée, au café Riche, au Helder, au café Anglais, au Napolitain, partout, partout. Il en écrivait à tous les fonctionnaires de la République, depuis les juges de paix jusqu’aux ministres. Et il était heureux, tout à fait heureux.

Un matin comme il sortait de chez lui pour se rendre au Conseil d’État, la pluie se mit à tomber. Il hésita à prendre un fiacre, mais il n’en prit pas, et s’en fut à pied, par les rues.

L’averse devenait terrible, noyait les trottoirs, inondait la chaussée. M. Marin fut contraint de se réfugier sous une porte. Un vieux prêtre était déjà là, un vieux prêtre à cheveux blancs. Avant d’être conseiller d’État, M. Marin n’aimait point le clergé. Maintenant il le traitait avec considération depuis qu’un cardinal l’avait consulté poliment sur une affaire difficile. La