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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/173

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le crime au père boniface

Le brigadier se redressant, reprit :

— Et vous n’avez pas porté secours en personne ?

Le facteur effaré répondit :

— Je craignais de n’être pas en nombre suffisant.

Alors le gendarme, convaincu, annonça :

— Le temps de me vêtir et je vous suis.

Et il entra dans la gendarmerie, suivi par son soldat qui rapportait la chaise.

Ils reparurent presque aussitôt, et tous trois se mirent en route, au pas gymnastique, pour le lieu du crime.

En arrivant près de la maison, ils ralentirent leur allure par précaution, et le brigadier tira son revolver, puis ils pénétrèrent tout doucement dans le jardin et s’approchèrent de la muraille. Aucune trace nouvelle n’indiquait que les malfaiteurs fussent partis. La porte demeurait fermée, les fenêtres closes.

— Nous les tenons, murmura le brigadier.

Le père Boniface, palpitant d’émotion, le fit passer de l’autre côté, et, lui montrant un auvent :

— C’est là, dit-il.

Et le brigadier s’avança tout seul, et colla son oreille contre la planche. Les deux autres attendaient, prêts à tout, les yeux fixés sur lui.

Il demeura longtemps immobile, écoutant. Pour mieux approcher sa tête du volet de bois, il avait ôté son tricorne et le tenait de sa main droite.

Qu’entendait-il ? Sa figure impassible ne révélait rien, mais soudain sa moustache se retroussa, ses joues se plissèrent comme pour un rire silencieux, et enjambant de nouveau la bordure de thym, il revint vers les deux hommes, qui le regardaient avec stupeur.