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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/195

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l’aveu

mains sur le pis gonflé, qui jette, à chaque pression, un mince fil de lait dans le seau. La mousse un peu jaune monte aux bords et les femmes vont de bête en bête jusqu’au bout de la longue file.

Dès qu’elles ont fini d’en traire une, elles la déplacent, lui donnant à pâturer un bout de verdure intacte.

Puis elles repartent, plus lentement, alourdies par la charge du lait, la mère devant, la fille derrière.

Mais celle-ci brusquement s’arrête, pose son fardeau, s’assied et se met à pleurer.

La mère Malivoire, n’entendant plus marcher, se retourne et demeure stupéfaite.

— Qué qu’t’as ? dit-elle.

Et la fille, Céleste, une grande rousse aux cheveux brûlés, aux joues brûlées, tachées de son comme si des gouttes de feu lui étaient tombées sur le visage un jour qu’elle peinait au soleil, murmura en geignant doucement comme font les enfants battus :

— Je n’peux pu porter mon lait !

La mère la regardait d’un air soupçonneux. Elle répéta :

— Qué qu’ t’as ?

Céleste reprit, écroulée par terre entre ses deux seaux, et se cachant les yeux avec son tablier.

— Ça me tire trop. Je ne peux pas.

La mère, pour la troisième fois, reprit :

— Qué que t’as donc ?

Et la fille gémit :

— Je crois ben que me v’là grosse.

Et elle sanglota.

La vieille à son tour posa son fardeau, tellement