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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/200

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l’aveu

Mais il ne s’intimida pas, et il répétait, s’amusant de plus en plus :

— Vous y viendrez, la belle, une rigolade fille et garçon !

Et depuis lors, chaque fois qu’elle le payait, il avait pris l’usage de demander :

— C’est pas encore pour aujourd’hui, la rigolade ?

Elle plaisantait aussi là-dessus, maintenant, et elle répondait :

— Pas pour aujourd’hui, m’sieu Polyte, mais c’est pour samedi, pour sûr alors !

Et il criait en riant toujours :

— Entendu pour samedi, ma belle.

Mais elle calculait en dedans que, depuis deux ans que durait la chose, elle avait bien payé quarante-huit francs à Polyte, et quarante-huit francs à la campagne ne se trouvent pas dans une ornière ; et elle calculait aussi que dans deux années encore, elle aurait payé près de cent francs.

Si bien qu’un jour, un jour de printemps qu’ils étaient seuls, comme il demandait selon sa coutume :

— C’est pas encore pour aujourd’hui, la rigolade ?

Elle répondit :

— À vot’désir, m’sieu Polyte.

Il ne s’étonna pas du tout et enjamba la banquette de derrière en murmurant d’un air content :

— Et allons donc. J’savais ben qu’on y viendrait.

Et le vieux cheval blanc se mit à trottiner d’un train si doux qu’il semblait danser sur place, sourd à la voix qui criait parfois du fond de la voiture : « Hue donc, Cocotte ! Hue donc, Cocotte ! »