Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
249
auprès d’un mort

ne remuait plus ; et je m’approchai du lit. Mais je demeurai saisi de stupeur et d’épouvante : Schopenhauer ne riait plus ! Il grimaçait d’une horrible façon, la bouche serrée, les joues creusées profondément. Je balbutiai :

— Il n’est pas mort !

Mais l’odeur épouvantable me montait au nez, me suffoquait. Et je ne remuais plus, le regardant fixement, effaré comme devant une apparition.

Alors mon compagnon, ayant pris l’autre bougie, se pencha. Puis il me toucha le bras sans dire un mot. Je suivis son regard, et j’aperçus à terre, sous le fauteuil à côté du lit, tout blanc sur le sombre tapis, ouvert comme pour mordre, le râtelier de Schopenhauer.

Le travail de la décomposition, desserrant les mâchoires, l’avait fait jaillir de la bouche.

J’ai eu vraiment peur ce jour-là, monsieur.

Et, comme le soleil s’approchait de la mer étincelante, l’Allemand phtisique se leva, me salua, et regagna l’hôtel.