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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/268

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la serre

souffrait de crampes d’estomac et exigeait qu’il lui frictionnât le ventre avec de la flanelle imbibée d’eau de Cologne. Il s’efforçait de la guérir, désolé de la voir malade ; et il proposait d’aller réveiller Céleste, leur bonne. Alors, elle se fâchait tout à fait, criant : « Faut-il qu’il soit bête, ce dindon-là. Allons ! c’est fini, je n’ai plus mal, rendors-toi, grande chiffe. »

Il demandait : « C’est bien sûr que tu ne souffres plus ? »

Elle lui jetait durement dans la figure : « Oui, tais-toi, laisse-moi dormir. Ne m’embête pas davantage. Tu es incapable de rien faire, même de frictionner une femme. »

Il se désespérait : « Mais… ma chérie… »

Elle s’exaspérait : « Pas de mais… Assez, n’est-ce pas. Fiche-moi la paix, maintenant… »

Et elle se tournait vers le mur.

Or une nuit, elle le secoua si brusquement, qu’il fit un bond de peur et se trouva sur son séant avec une rapidité qui ne lui était pas habituelle.

Il balbutia : « Quoi ?… Qu’y a-t-il ?… »

Elle le tenait par le bras et le pinçait à le faire crier. Elle lui souffla dans l’oreille : « J’ai entendu du bruit dans la maison. »

Accoutumé aux fréquentes alertes de Mme Lerebour, il ne s’inquiéta pas outre mesure, et demanda tranquillement : « Quel bruit, ma chérie ? »

Elle tremblait, comme affolée, et répondit : « Du bruit… mais du bruit… des bruits de pas… Il y a quelqu’un. »

Il demeurait incrédule : « Quelqu’un ? Tu crois ? Mais non ; tu dois te tromper. Qui veux-tu que ce soit, d’ailleurs ? »