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un duel

Et il regardait M. Dubuis en riant orgueilleusement dans son poil.

Le train roulait, traversant toujours des hameaux occupés. On voyait les soldats allemands le long des routes, au bord des champs, debout au coin des barrières, ou causant devant les cafés. Ils couvraient la terre comme les sauterelles d’Afrique.

L’officier tendit la main :

— Si ch’afrais le gommandement, ch’aurais bris Paris, et brûlé tout, et tué tout le monde. Blus de France !

Les Anglais par politesse répondirent simplement :

— Aoh ! yes.

Il continua :

— Tans vingt ans, toute l’Europe, toute, abartiendra à nous. La Brusse blus forte que tous.

Les Anglais, inquiets, ne répondaient plus. Leurs faces, devenues impassibles, semblaient de cire entre leurs longs favoris. Alors l’officier prussien se mit à rire. Et, toujours renversé sur le dos, il blagua. Il blaguait la France écrasée, insultait les ennemis à terre ; il blaguait l’Autriche, vaincue naguère ; il blaguait la défense acharnée et impuissante des départements ; il blaguait les mobiles, l’artillerie inutile. Il annonça que Bismarck allait bâtir une ville de fer avec les canons capturés. Et soudain il mit ses bottes contre la cuisse de M. Dubuis, qui détournait les yeux, rouge jusqu’aux oreilles.

Les Anglais semblaient devenus indifférents à tout, comme s’ils s’étaient trouvés brusquement renfermés dans leur île, loin des bruits du monde.

L’officier tira sa pipe et, regardant fixement le Français :