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un duel

— Êtes-vous prêt ?

En répondant « oui, monsieur ! », il s’aperçut qu’un des Anglais avait ouvert son parapluie pour se garantir du soleil.

Une voix commanda :

— Feu !

M. Dubuis tira, au hasard, sans attendre, et il aperçut avec stupeur le Prussien debout en face de lui, qui chancelait, levait les bras et tombait raide sur le nez. Il l’avait tué.

Un Anglais cria un « Aoh ! » vibrant de joie, de curiosité satisfaite et d’impatience heureuse. L’autre, qui tenait toujours sa montre à la main, saisit M. Dubuis par le bras, et l’entraîna, au pas gymnastique, vers la gare.

Le premier Anglais marquait le pas, tout en courant, les poings fermés, les coudes au corps.

— Une, deux ! une, deux !

Et tous trois de front trottaient, malgré leurs ventres, comme trois grotesques d’un journal pour rire.

Le train partait. Ils sautèrent dans leur voiture. Alors, les Anglais, ôtant leurs toques de voyage, les levèrent en les agitant, puis, trois fois de suite, ils crièrent :

— Hip, hip, hip, hurrah !

Puis, ils tendirent gravement, l’un après l’autre, la main droite à M. Dubuis, et ils retournèrent s’asseoir côte à côte dans leur coin.