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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/292

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une soirée

marbre parlaient bas de leurs affaires d’amour, des querelles de Lucie avec Hortense, de la gredinerie d’Octave. Elles étaient mûres, trop grasses ou trop maigres, fatiguées, usées. On les devinait presque chauves ; et elles buvaient des bocks, comme des hommes.

Me Saval s’assit loin d’elles, et attendit, car l’heure de l’absinthe approchait.

Un grand jeune homme vint bientôt se placer près de lui. La patronne l’appela « M. Romantin ». Le notaire tressaillit. Est-ce ce Romantin qui venait d’avoir une première médaille au dernier Salon ?

Le jeune homme, d’un geste, fit venir le garçon :

— Tu vas me donner à dîner tout de suite, et puis tu porteras à mon nouvel atelier, 15, boulevard de Clichy, trente bouteilles de bière et le jambon que j’ai commandé ce matin. Nous allons pendre la crémaillère.

Me Saval, aussitôt, se fit servir à dîner. Puis il ôta son pardessus, montrant son habit et sa cravate blanche.

Son voisin ne paraissait point le remarquer. Il avait pris un journal et lisait. Me Saval le regardait de côté, brûlant du désir de lui parler.

Deux jeunes hommes entrèrent, vêtus de vestes de velours rouge, et portant des barbes en pointe à la Henri III. Ils s’assirent en face de Romantin.

Le premier dit :

— C’est pour ce soir ?

Romantin lui serra la main :

— Je te crois, mon vieux, et tout le monde y sera. J’ai Bonnat, Guillemet, Gervex, Béraud, Hébert,