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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/86

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l’ami patience

Le garçon apporta le Temps. Je fus surpris. Pourquoi le Temps, journal grave, gris, doctrinaire, pondéré ? Je pensai :

— C’est donc un homme sage, de mœurs sérieuses, d’habitudes régulières, un bon bourgeois, enfin.

Il posa sur son nez des lunettes d’or, se renversa et, avant de commencer à lire, il jeta de nouveau un regard circulaire. Il m’aperçut et se mit aussitôt à me considérer d’une façon insistante et gênante. J’allais même lui demander la raison de cette attention, quand il me cria de sa place :

— Nom d’une pipe, c’est bien Gontran Lardois.

Je répondis :

— Oui, monsieur, vous ne vous trompez pas.

Alors il se leva brusquement, et s’en vint, les mains tendues :

— Ah ! mon vieux, comment vas-tu ?

Je demeurais fort gêné, ne le reconnaissant pas du tout. Je balbutiai :

— Mais… très bien… et… vous ?

Il se mit à rire :

— Je parie que tu ne me reconnais pas ?

— Non, pas tout à fait… Il me semble… cependant.

Il me tapa sur l’épaule :

— Allons, pas de blague. Je suis Patience, Robert Patience, ton copain, ton camarade.

Je le reconnus. Oui, Robert Patience, mon camarade de collège. C’était cela. Je serrai la main qu’il me tendait :

— Et toi, tu vas bien ?

— Moi, comme un charme.