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Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/97

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Ce crime, c’est contre moi qu’ils l’ont commis. Je fus la victime, eux furent les coupables. J’étais sans défense, ils furent sans pitié. Ils devaient m’aimer : ils m’ont rejeté.

Moi, je leur devais la vie — mais la vie est-elle un présent ? La mienne, en tous cas, n’était qu’un malheur. Après leur honteux abandon, je leur devais plus que la vengeance. Ils ont accompli contre moi l’acte le plus inhumain, le plus infâme, le plus monstrueux qu’on puisse accomplir contre un être.

Un homme injurié frappe ; un homme volé reprend son bien par la force. Un homme trompé, joué, martyrisé, tue. Un homme souffleté tue ; un homme déshonoré tue. J’ai été plus volé, trompé, martyrisé, souffleté moralement, déshonoré, que tous ceux dont vous absolvez la colère.

Je me suis vengé, j’ai tué. C’était mon droit légitime. J’ai pris leur vie heureuse en échange de la vie horrible qu’ils m’avaient imposée. Vous allez parler de parricide ! Étaient-ils mes parents, ces gens pour qui je fus un fardeau abominable, une terreur, une tache d’infamie ; pour qui ma naissance fut une calamité, et ma vie une menace de honte ? Ils cherchaient un plaisir égoïste ; ils ont eu un enfant imprévu. Ils ont supprimé l’enfant. Mon tour est venu d’en faire autant pour eux.

Et pourtant, dernièrement encore, j’étais prêt à les aimer.

Voici deux ans, je vous l’ai dit, que l’homme, mon père, entra chez moi pour la première fois. Je ne soup-