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Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/202

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le testament

de nos antiques usages, de nos préjugés, de nos lois surannées, de notre morale imbécile.

Il aima ma mère, paraît-il, et en fut aimé. Cette liaison demeura tellement secrète que personne ne la soupçonna. La pauvre femme, délaissée et triste, dut s’attacher à lui d’une façon désespérée, et prendre dans son commerce toutes ses manières de penser, des théories de libre sentiment, des audaces d’amour indépendant ; mais, comme elle était si craintive qu’elle n’osait jamais parler haut, tout cela fut refoulé, condensé, pressé en son cœur qui ne s’ouvrit jamais.

Mes deux frères étaient durs pour elle, comme leur père, ne la caressaient point, et, habitués à ne la voir compter pour rien dans la maison, la traitaient un peu comme une bonne.

Je fus le seul de ses fils qui l’aimât vraiment et qu’elle aimât.

Elle mourut. J’avais alors dix-huit ans. Je dois ajouter, pour que vous compreniez ce qui va suivre, que son mari était doté d’un conseil judiciaire, qu’une séparation de biens avait été prononcée au profit de ma mère, qui avait conservé, grâce aux artifices de la loi et au dévouement intel-