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Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/213

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aux champs

le matin, puis à midi, puis à six heures, le soir, les ménagères réunissaient leurs mioches pour donner la pâtée, comme des gardeurs d’oies assemblent leurs bêtes. Les enfants étaient assis, par rang d’âge, devant la table en bois, vernie par cinquante ans d’usage. Le dernier moutard avait à peine la bouche au niveau de la planche. On posait devant eux l’assiette creuse pleine de pain molli dans l’eau où avaient cuit les pommes de terre, un demi-chou et trois oignons ; et toute la lignée mangeait jusqu’à plus faim. La mère empâtait elle-même le petit. Un peu de viande au pot-au-feu, le dimanche, était une fête pour tous ; et le père, ce jour-là, s’attardait au repas en répétant : « Je m’y ferais bien tous les jours, »

Par un après-midi du mois d’août, une légère voiture s’arrêta brusquement devant les deux chaumières, et une jeune femme, qui conduisait elle-même, dit au monsieur assis à côté d’elle :

— Oh ! regarde, Henri, ce tas d’enfants ! Sont-ils jolis, comme ça, à grouiller dans la poussière.

L’homme ne répondit rien, accoutumé à ces admirations qui étaient une douleur et presque un reproche pour lui.