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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/105

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fort comme la mort

un petit maigre, chauve, avec une barbe grise, dit d’un air fin :

— Moi aussi, j’ai toujours un retour de sève en avril ; ça me fait pousser quelques feuilles, une demi-douzaine au plus, puis ça coule en sentiment ; il n’y a jamais de fruits.

Le marquis de Rocdiane et le comte de Landa le plaignirent. Plus âgés que lui, tous deux, sans qu’aucun œil exercé pût fixer leur âge, hommes de cercle, de cheval et d’épée à qui les exercices incessants avaient fait des corps d’acier, ils se vantaient d’être plus jeunes, en tout, que les polissons énervés de la génération nouvelle.

Rocdiane, de bonne race, fréquentant tous les salons, mais suspect de tripotages d’argent de toute nature, ce qui n’était pas étonnant, disait Bertin, après avoir tant vécu dans les tripots, marié, séparé de sa femme qui lui payait une rente, administrateur de banques belges et portugaises, portait haut, sur sa figure énergique de Don Quichotte, un honneur un peu terni de gentilhomme à tout faire que nettoyait, de temps en temps, le sang d’une piqûre de duel.

Le comte de Landa, un bon colosse, fier de sa taille et de ses épaules, bien que marié et père de deux enfants, ne se décidait qu’à grand’peine à dîner chez lui trois fois par semaine, et restait au Cercle les autres jours, avec ses amis, après la séance de la salle d’armes.

— Le Cercle est une famille, disait-il, la famille de ceux qui n’en ont pas encore, de ceux qui n’en auront jamais et de ceux qui s’ennuient dans la leur.

La conversation, partie sur le chapitre femmes, roula d’anecdotes en souvenirs et de souvenirs en vanteries jusqu’aux confidences indiscrètes.