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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/107

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fort comme la mort

l’approuvait avec enthousiasme, énumérait les petites filles qui l’adoraient encore tous les jours.

Mais Liverdy, plus sceptique et prétendant savoir exactement ce que valent les femmes, murmurait :

— Oui, elles vous le disent qu’elles vous adorent.

Landa riposta :

— Elles me le prouvent, mon cher.

— Ces preuves-là ne comptent pas.

— Elles me suffisent.

Rocdiane criait :

— Mais elles le pensent, sacrebleu ! Croyez-vous qu’une jolie petite gueuse de vingt ans, qui fait la fête depuis cinq ou six ans déjà, la fête à Paris, où toutes nos moustaches lui ont appris et gâté le goût des baisers, sait encore distinguer un homme de trente ans d’avec un homme de soixante ? Allons donc ! quelle blague ! Elle en a trop vu et trop connu. Tenez, je vous parie qu’elle aime mieux, au fond du cœur, mais vraiment mieux, un vieux banquier qu’un jeune gommeux. Est-ce qu’elle sait, est-ce qu’elle réfléchit à ça ? Est-ce que les hommes ont un âge, ici ? Eh ! mon cher, nous autres, nous rajeunissons en blanchissant, et plus nous blanchissons, plus on nous dit qu’on nous aime, plus on nous le montre et plus on le croit.

Ils se levèrent de table, congestionnés et fouettés par l’alcool, prêts à partir pour toutes les conquêtes, et ils commençaient à délibérer sur l’emploi de leur soirée, Bertin parlant du Cirque, Rocdiane de l’Hippodrome, Maldant de l’Éden et Landa des Folies-Bergère, quand un bruit de violons qu’on accorde, léger, lointain, vint jusqu’à eux.

— Tiens, il y a donc musique aujourd’hui au Cercle ? dit Rocdiane.