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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/146

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fort comme la mort

traîner la causerie, mais la soutenait et l’activait, la fouaillant avec sa verve, et il éprouvait, quand il avait fait partir d’un franc rire la comtesse et sa fille, ou quand il les sentait émues, ou quand il les voyait lever sur lui des yeux surpris, ou quand elles cessaient de travailler pour l’écouter, un chatouillement de plaisir, un petit frisson de succès qui le payaient de sa peine.

Il revenait maintenant, chaque fois qu’il les savait seules, et jamais, peut-être, il n’avait passé d’aussi douces soirées.

Mme de Guilleroy, dont cette assiduité apaisait les craintes constantes, faisait, pour l’attirer et le retenir, tous ses efforts. Elle refusait des dîners en ville, des bals, des représentations, afin d’avoir la joie de jeter dans la boîte du télégraphe, en sortant à trois heures, la petite dépêche bleue qui disait : « À tantôt ». Dans les premiers temps, voulant lui donner plus vite le tête-à-tête qu’il désirait, elle envoyait coucher sa fille dès que dix heures commençaient à sonner. Puis, voyant un jour qu’il s’en étonnait et demandait en riant qu’on ne traitât plus Annette en petit enfant pas sage, elle accorda un quart d’heure de grâce, puis une demi-heure, puis une heure. Il ne restait pas longtemps d’ailleurs après que la jeune fille était partie, comme si la moitié du charme qui le tenait dans ce salon venait de sortir avec elle. Approchant aussitôt des pieds de la comtesse le petit siège bas qu’il préférait, il s’asseyait tout près d’elle et posait, par moments, avec un mouvement câlin, une joue contre ses genoux. Elle lui donnait une de ses mains, qu’il tenait dans les siennes, et sa fièvre d’esprit tombant soudain, il cessait de parler et semblait se reposer dans un tendre silence de l’effort qu’il avait fait.