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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/177

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fort comme la mort

Comprenant qu’elle avait trop maigri, que la chair des femmes de son âge a besoin d’être pleine pour se conserver fraîche, elle cherchait de l’appétit sur les routes et dans les bois voisins, et bien qu’elle rentrât fatiguée et sans faim, elle s’efforçait de manger beaucoup.

Le comte, qui voulait repartir, ne comprenait point son obstination. Enfin, devant sa résistance invincible, il déclara qu’il s’en allait seul, laissant la comtesse libre de revenir lorsqu’elle y serait disposée.

Elle reçut le lendemain la dépêche annonçant l’arrivée d’Olivier.

Une envie de fuir la saisit, tant elle avait peur de son premier regard. Elle aurait désiré attendre encore une semaine ou deux. En une semaine, en se soignant on peut changer tout à fait de visage, puisque les femmes, même bien portantes et jeunes, sous la moindre influence sont méconnaissables du jour au lendemain. Mais l’idée d’apparaître en plein soleil, en plein champ, devant Olivier, dans cette lumière du mois d’août, à côté d’Annette si fraîche, l’inquiéta tellement, qu’elle se décida tout de suite à ne point aller à la gare et à l’attendre dans la demi-ombre du salon.

Elle était montée dans sa chambre et songeait. Des souffles de chaleur remuaient de temps en temps les rideaux. Le chant des cris-cris emplissait l’air. Jamais encore elle ne s’était sentie si triste. Ce n’était plus la grande douleur écrasante qui avait broyé son cœur, qui l’avait déchirée, anéantie, devant le corps sans âme de la vieille maman bien-aimée. Cette douleur qu’elle avait crue inguérissable s’était, en quelques jours, atténuée jusqu’à n’être qu’une souffrance du