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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/179

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fort comme la mort

et d’une voix que chauffait une émotion vraie :

— Ah ! ma pauvre comtesse, permettez que je vous embrasse !

Elle ferma les yeux, se pencha, se pressa contre lui en tendant ses joues, et pendant qu’il appuyait ses lèvres, elle murmura dans son oreille : « Je t’aime. »

Puis Olivier, sans lâcher ses mains qu’il serrait, la regarda, disant :

— Voyons cette triste figure ?

Elle se sentait défaillir. Il reprit :

— Oui, un peu pâlotte ; mais ça n’est rien.

Pour le remercier, elle balbutia :

— Ah ! cher ami, cher ami ! — ne trouvant pas autre chose à dire.

Mais il s’était retourné, cherchant derrière lui Annette disparue, et brusquement :

— Est-ce étrange, hein, de voir votre fille en deuil ?

— Pourquoi ? demanda la comtesse.

Il s’écria, avec une animation extraordinaire :

— Comment, pourquoi ? Mais c’est votre portrait peint par moi, c’est mon portrait ! C’est vous, telle que je vous ai rencontrée autrefois en entrant chez la duchesse ! Hein, vous rappelez-vous cette porte où vous avez passé sous mon regard, comme une frégate passe sous le canon d’un fort. Sacristi ! quand j’ai aperçu à la gare, tout à l’heure, la petite debout sur le quai, tout en noir, avec le soleil de ses cheveux autour du visage, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai cru que j’allais pleurer. Je vous dis que c’est à devenir fou quand on vous a connue comme moi, qui vous ai regardée mieux que personne et aimée plus que personne, et reproduite en peinture, Madame. Ah ! par exemple, j’ai bien pensé que vous me l’aviez envoyée