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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/203

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fort comme la mort

ques jours. Combien de fois suis-je resté chez vous des semaines entières ?

— Oui, mais en d’autres circonstances, alors que la maison était ouverte à tout le monde.

Alors Annette, d’une voix câline :

— Oh, maman ! quelques jours encore, deux ou trois. Il m’apprend si bien à jouer au tennis. Je me fâche quand je perds, et puis après je suis si contente d’avoir fait des progrès !

Le matin même, la comtesse projetait de faire durer jusqu’au dimanche ce séjour mystérieux de l’ami, et maintenant elle voulait partir, sans savoir pourquoi. Cette journée qu’elle avait espérée si bonne, lui laissait à l’âme une tristesse inexprimable et pénétrante, une appréhension sans cause, tenace et confuse comme un pressentiment.

Quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle chercha même d’où lui venait ce nouvel accès mélancolique.

Avait-elle subi une de ces imperceptibles émotions dont l’effleurement a été si fugitif que la raison ne s’en souvient point, mais dont la vibration demeure aux cordes du cœur les plus sensibles ? — Peut-être. Laquelle ? Elle se rappela bien quelques inavouables contrariétés dans les mille nuances de sentiment par lesquelles elle avait passé, chaque minute apportant la sienne ! Or, elles étaient vraiment trop menues pour lui laisser ce découragement. « Je suis exigeante, pensa-t-elle. Je n’ai pas le droit de me tourmenter ainsi. »

Elle ouvrit sa fenêtre, afin de respirer l’air de la nuit, et elle y demeura accoudée, les yeux sur la lune.