Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
fort comme la mort

rait encore en elle comme l’impression d’une souffrance finie.

Quand elle descendit pour dîner, son mari, qui venait de rentrer l’embrassa avec affection, et souriant :

— Ah ! ah ! Je savais bien, moi, que l’ami Bertin vous ramènerait. Je n’ai pas été maladroit en vous l’envoyant.

Annette répondit gravement, de cette voix particulière qu’elle prenait quand elle plaisantait sans rire :

— Oh ! Il a eu beaucoup de mal. Maman ne pouvait pas se décider.

Et la comtesse ne dit rien, un peu confuse.

La porte étant interdite, personne ne vint ce soir-là, Le lendemain, Mme de Guilleroy passa toute sa journée dans différents magasins pour choisir et commander tout ce dont elle avait besoin. Elle aimait depuis sa jeunesse, presque depuis son enfance, ces longues séances d’essayage devant les glaces des grandes faiseuses. Dès l’entrée dans la maison, elle se sentait réjouie à la pensée de tous les détails de cette minutieuse répétition, dans ces coulisses de la vie parisienne. Elle adorait le bruit des robes des « demoiselles » accourues à son entrée, leurs sourires, leurs offres, leurs interrogations ; et madame la couturière, la modiste ou la corsetière, était pour elle une personne de valeur, qu’elle traitait en artiste lorsqu’elle exprimait son opinion pour demander un conseil. Elle adorait encore plus se sentir maniée par les mains habiles des jeunes filles qui la dévêtaient et la rhabillaient en la faisant pivoter doucement devant son reflet gracieux. Le frisson que leurs doigts légers promenaient sur sa peau, sur son cou, ou dans ses cheveux