Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
fort comme la mort

Il retira brusquement ses mains, et, avec une vivacité d’innocent qui se débat contre une prévention honteuse, avec des gestes vifs, une animation grandissante, il se défendit en l’accusant à son tour, elle, de l’avoir ainsi soupçonnée.

Elle le laissa parler longtemps, obstinément incrédule, sûre de ce qu’elle avait dit, puis elle reprit :

— Mais je ne vous soupçonne pas, mon ami. Vous ignorez ce qui se passe en vous comme je l’ignorais moi-même ce matin. Vous me traitez comme si je vous accusais d’avoir voulu séduire Annette. Oh, non ! oh, non ! Je sais combien vous êtes loyal, digne de toute estime et de toute confiance. Je vous prie seulement, je vous supplie de regarder au fond de votre cœur si l’affection que vous commencez à avoir malgré vous, pour ma fille, n’a pas un caractère un peu différent d’une simple amitié.

Il se fâcha, et s’agitant de plus en plus, se mit à plaider de nouveau sa loyauté, comme il avait fait, tout seul, dans la rue, en venant.

Elle attendit qu’il eût fini ses phrases ; puis, sans colère, sans être ébranlée en sa conviction, mais affreusement pâle, elle murmura :

— Olivier, je sais bien tout ce que vous me dites, et je le pense ainsi que vous. Mais je suis sûre de ne pas me tromper. Écoutez, réfléchissez, comprenez. Ma fille me ressemble trop, elle est trop tout ce que j’étais autrefois quand vous avez commencé à m’aimer, pour que vous ne vous mettiez pas à l’aimer aussi.

— Alors, s’écria-t-il, vous osez me jeter une chose pareille à la face sur cette simple supposition et ce ridicule raisonnement : il m’aime, ma fille me ressemble — donc il l’aimera.