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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/23

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fort comme la mort

Et soudain :

— Est-elle coquette avec vous ?

Il rit et jura que non.

Alors, posant ses deux mains sur les épaules du peintre, elle le regarda fixement. L’ardeur de l’interrogation faisait frémir la pupille ronde au milieu de l’iris bleu taché d’imperceptibles points noirs comme des éclaboussures d’encre.

Elle murmura de nouveau :

— Bien vrai, elle n’est pas coquette ?

— Oh ! bien vrai.

Elle ajouta :

— Je suis tranquille d’ailleurs. Vous n’aimerez plus que moi maintenant. C’est fini, fini pour d’autres. Il est trop tard, mon pauvre ami.

Il fut effleuré par ce léger frisson pénible qui frôle le cœur des hommes mûrs quand on leur parle de leur âge, et il murmura :

— Aujourd’hui, demain, comme hier, il n’y a eu et il n’y aura que vous en ma vie, Any.

Elle lui prit alors le bras, et retournant vers le divan, le fit asseoir à côté d’elle.

— À quoi pensiez-vous ?

— Je cherche un sujet de tableau.

— Quoi donc ?

— Je ne sais pas, puisque je cherche.

— Qu’avez-vous fait ces jours-ci ?

Il dut lui raconter toutes les visites qu’il avait reçues, les dîners et les soirées, les conversations et les potins. Ils s’intéressaient l’un et l’autre d’ailleurs à toutes ces choses futiles et familières de l’existence mondaine. Les petites rivalités, les liaisons connues ou soupçonnées, les jugements tout faits, mille fois redits, mille